Réinventer le patrimoine vous présente l'exemple inspirant d'un joyau architectural, l’abbaye de Royaumont, qui se distingue également par une grande mixité d’usages et un modèle de développement singulier.
Pour appréhender le modèle économique et la stratégie de développement de la Fondation Royaumont, nous avons recueilli les témoignages de Frank Magloire, directeur général adjoint, et de Sylvain Mathevet, secrétaire général. L’abbaye de Royaumont, fondée au XIIIᵉ siècle classé monument historique dès 1927 et transformée en fondation culturelle en 1964, s’impose aujourd’hui comme un lieu vivant, où se croisent patrimoine, création artistique, accueil d’entreprises, visite touristique du monument et activités pédagogiques.
Grâce à un modèle hybride associant activités culturelles, hôtelières et événementielles, la Fondation Royaumont réussit à conjuguer préservation du patrimoine et développement économique. Un équilibre qui en fait un exemple inspirant pour d’autres sites patrimoniaux.
Un lieu patrimonial aux usages multiples
L’abbaye de Royaumont n’est pas seulement un monument historique à visiter : elle vit au rythme d’activités variées qui se complètent. Centre culturel de Rencontre reconnu pour ses concerts, résidences et festivals, on y retrouve également un hébergement hôtelier ouvert toute l’année accueillant des séminaires d’entreprise la semaine et la clientèle individuelle le week-end.
Les espaces de l’abbaye se prêtent aussi à des événements d’entreprise, des réceptions privées (mariages, anniversaires) et des tournages de film. Royaumont développe par ailleurs une forte activité pédagogique, avec des ateliers pour les scolaires, des stages, des projets participatifs avec des lycées, et des programmes éducatifs autour de la musique, du patrimoine ou de la nature. Ce croisement d’usages et de publics, qui cohabitent parfois dans un même espace comme le réfectoire des moines, donne à Royaumont une identité particulière : celle d’un lieu ouvert et polyvalent, où culture, patrimoine et société dialoguent.
🎶 Un projet culturel exigeant
La musique et la danse sont au cœur du projet artistique de Royaumont depuis sa création. Des concerts de musique médiévale à la danse contemporaine, en passant par la musique baroque, classique et transculturelle, la programmation mêle héritage et création. Depuis 2025, sous l’impulsion du nouveau directeur général de l’abbaye de Royaumont, François Naulot, la Fondation a transformé son Festival en saison culturelle durant les mois de septembre à juin, et a créé un Campus Royaumont chaque été, dédié à la formation et aux résidences d’artistes. Des temps de médiation et de rencontres avec le public, avant ou après les spectacles, complètent cette programmation et renforcent le lien entre artistes et spectateurs.
💡 Un modèle économique hybride
Avec un budget annuel de 8 à 9 millions d’euros ces dernières années, la Fondation ne dépend qu’à 30 % des subventions publiques (État, Région Île-de-France et Département du Val-d’Oise). Les 70 % restants proviennent de ressources propres et de mécénat, ce qui lui confère une grande autonomie.
- Le mécénat représente à lui seul 15 à 17 % du budget, soit près d’1 million d’euros par an, grâce à un réseau fidèle d’entreprises et de donateurs. Cet ancrage dans l’ADN de la Fondation remonte à sa création même, marquée par un geste philanthropique de la famille Gouin.
- Les recettes commerciales sont conséquentes : 39 % des revenus proviennent de l’hôtellerie, de la restauration et des séminaires. En 2024, ces activités ont généré un chiffre d’affaires de 3 514K à travers 252 opérations.
- La billetterie (spectacles, visites, librairie), (~15% du budget), les inscriptions aux formations et les coproductions avec des partenaires culturels complètent ce modèle diversifié.
Ce modèle économique, distingue Royaumont d’autres monuments ou Centres culturels très dépendants des subventions (parfois jusqu’à 70 ou 80%). Il assure une relative stabilité, même si la crise sanitaire a temporairement bousculé cet équilibre. Les défis actuels concernent la baisse tendancielle des subventions et les limites à ne pas franchir : développer les recettes sans perdre la vocation culturelle et l’utilité publique de l’abbaye.
👥 Des publics diversifiés
Royaumont attire chaque année environ 100 000 visiteurs. La moitié des spectateurs de la saison culturelle appartient à un public fidèle relativement âgé, mais la Fondation cherche à s’ouvrir davantage aux familles et aux jeunes, notamment grâce aux visites ludiques (parcours-jeux, chasses au trésor) et à de nouvelles propositions mensuelles (ateliers, animations autour des ruches, activités découvertes). En 2024, l’abbaye a accueilli pour la visite du monument 54 711 personnes : parmi elles, 33 829 étaient des visiteurs individuels, tandis que 20 882 sont venus en groupe, dont 7 185 adultes.
Les scolaires constituent un public prioritaire, avec une offre adaptée allant des visites aux ateliers pratiques (vitrail, taille de pierre, botanique, musique). Des projets coconstruits avec les enseignants renforcent cet ancrage éducatif. Royaumont accueille également des publics professionnels, avec 155 séminaires réalisées et 2665 personnes ayant participé à un séminaire résidentiel en 2024, des groupes associatifs, ainsi que des artistes en formation et en résidence.
💻 Un usage raisonné du numérique
Royaumont explore aussi le numérique, mais avec prudence. La Fondation privilégie des dispositifs simples et pertinents : Parmi eux, la mise à disposition d’un QR code pour enrichir la visite des jardins ou encore des visionneuses 3D dans les ruines de l’église abbatiale, permettant une reconstitution immersive du réfectoire transformé en hôpital militaire pendant la Grande Guerre. C’est la société Trivision qui a été retenu pour déployer ce dispositif dont l’investissement s’est élevé à 13 K€. La Fondation a récemment lancé une application de visite avec Wivisit, offrant un contenu audio et vidéo pour la visite libre. Le contenu des écrans dans les salles historiques a également été revu, afin de fournir des informations plus complètes et pédagogiques aux visiteurs. D’autres initiatives, comme le vidéo mapping, sont actuellement à l’étude.
La raison de la mise en place de ces outils est double : s’adapter aux nouveaux modes de visite et aux nouvelles formes de médiation, tout en veillant à ce que chaque dispositif apporte une valeur ajoutée réelle. Ainsi, l’objectif est d’apporter une valeur ajoutée sans dénaturer l’expérience de visite, en évitant une « sur-technologisation » trop coûteuse et peu durable en contribuant à valoriser le patrimoine, en facilitant la compréhension de son histoire et en rendant la découverte plus immersive et vivante.
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Un équilibre entre héritage et innovation
La réussite de Royaumont repose sur un subtil équilibre : préserver un patrimoine exceptionnel de près de 800 ans, tout en le rendant vivant grâce à une programmation artistique exigeante, un modèle économique solide et une ouverture à des publics variés. En diversifiant ses activités du concert à l’hôtellerie, du séminaire d’entreprise au projet scolaire et en cultivant son indépendance financière, la Fondation Royaumont offre un exemple inspirant de valorisation durable du patrimoine.
Nous avons demandé au secrétaire général, Sylvain Mathevet, quelle était la place qu’occupe Royaumont dans la société. Pour lui, la Fondation joue un rôle primordial : elle assure la conservation, la valorisation et la transmission d’un patrimoine exceptionnel, en rendant l’histoire et la culture accessibles et compréhensibles pour les générations futures.
Royaumont n’est pas seulement un lieu patrimonial : c’est également un espace d’inspiration et de création, où artistes et chercheurs peuvent développer librement leurs projets, qu’ils soient musicaux, chorégraphiques ou scientifiques, notamment dans le domaine des sciences de l’homme. Il s’agit d’un lieu de rencontre et d’échange, favorisant les interactions entre publics, artistes, scientifiques ou acteurs économiques, lors de concerts, spectacles, séminaires et autres événements.
Enfin, Royaumont est aussi un refuge de repos et de déconnexion, offrant à ses visiteurs un temps de respiration, de ressourcement et de sociabilisation, renforçant ainsi son rôle singulier de lieu culturel ouvert et vivant.
Merci à Sylvain Mathevet et Frank Magloire pour ces échanges !